Fashia Kantarci
Lors du premier séjour de Fashia à Caux, son pays laTurquie traversait une crise grave. De violentes révoltes avaient éclaté dans les universités et les collèges techniques à Ankara, Istanbul et Izmir la ville où elle avait vécu.
Mais Fasiha elle-même passait par une crise très grave dans sa propre vie: son cher mari venait de mourir soudainement d'une crise cardiaque. A son profond chagrin s'ajoutait une violente rancœur contre sa belle-fille. Ni Fasiha ni son mari ne l'avaient acceptée, et encore moins l'enfant né du mariage prématuré de leur fils.Et c'était pendant une conversation pleine d'amertume avec son ex belle-fille que son mari était décédé. Fasiha la rendait responsable de sa mort.
A Caux nous partagions une chambre. De mon côté j'avais récemment perdu les uns après les autres mes parents, puis mon frère cadet, atteint d'une leucémie foudroyante. Ce même vécu de la perte d'êtres chers nous a immédiatement rapprochées.
A cette époque laTurquie était pour moi un pays inconnu de même que sa religion qui était celle de ma nouvelle amie. Mais grâces aux pensées que nous recevions toutes les deux dans nos méditations quotidiennes, nous avons surmonté ces difficultés. Fasiha absorbait avec avidité tout ce qu'elle entendait durant la conférence à Caux. C'était une femme qui voyait grand. Elle aimait son pays et était prête à payer de sa personne. Les jeunes qu'elle rencontrait à Caux lui donnaient de l'espoir pour la jeunesse de son pays. Mais c'est par elle-même qu'elle voulait commencer. Peu à peu, dans le silence et non sans douleur. elle découvrit comment le faire. Ainsi. dès son retour elle alla voir sa belle-fille et elle lui demanda pardon de son attitude. Elle renoua aussi les relations avec d'autres membres de son entourage.
A Caux, elle m'avait chaleureusement invitée à lui rendre visite en Turquie. En 1969, je suis donc allée à Istanbul. Fasiha avait alors la garde de sa petite-fille de sept ans, car sa belle-fille travaillait et avait demandé son aide. La situation politique du moment était loin d'être simple. La police patrouillait sans cesse et un important diplomate israélien en visite officielle avait été assassiné dans notre quartier; Il nous fut interdit de quitter nos domiciles qui furent fouillés.
Fasiha habitait au cinquième étage d'un immeuble en forme de U. L'arrière donnait sur une cour intérieure entourée des traditionnels balcons moitié vitrés et moitié ouverts. A cause de l'interdiction de sortir et grâce à un temps printanier ces balcons étaient bondés. Cela offrait l'occasion de contacts de balcon à balcon. Fasiha participait tout naturellement à ces échanges. Dès j'ai été connue et acceptée par une communauté bienveillante:
Cette expérience m'a fait réaliser à quel point cela doit être difficile pour les gens de ces cultures du sud de venir chez nous où notre isolement prudent sert à protéger notre sphère privée. Cette expérience s'est renouvelée à chacun de mes séjours en Turquie. Par la suite Fasiha est venue tous les deux étés à Caux, toujours accompagnée, et souvent par des jeunes qui pouvaient venir grâce à son aide. Son domaine était le "housekeeping" où elle pouvait exprimer le sens de l'hospitalité propre à son pays.
Là se sont nouées des amitiés avec de nombreuses femmes de différents pays, amitiés qui ont donné lieu par la suite à des visites dans plusieurs pays. Nous avons appris à vivre ensemble et à apprécier nos différences. Mais notre base commune restait les moments de silence suivis d'un partage honnête. Et nous cherchions dans le silence ce que nous pourrions transmettre à ceux qui nous accueillaient.
Français